LE JOURNAL DU BARON VON RAWT :

 

Voici un récit du baron Pierre-Alexandre Von Rawt sur les contrées qu'il a été amené à traverser. Son journal retrace ses impressions alors qu'il tente de longer le désert des Trans-plans, en quête d'une terre d'asile.

 

Jour 25 (date approximative)

 

Cela fait cinq jours que je progresse dans ce lieu désolé sans boire. Ai remarqué des averses dans le lointain, mais trop près du désert des Trans-plans pour que je m'y risque. Peut être n'est ce même pas de l'eau.

 

Jour 26

 

Il est exactement 15H17 (mais ma montre est bloquée depuis plusieurs jours sur cette heure fatidique, sans vouloir en démordre), lorsqu'au détour d'une dune, j'aperçois une plaine vallonnée, sillonnée de petites rivières cristallines. Des arbres d'aspect étrange sont plantés ça et là. Je n'y tiens plus, je cours jusqu'a un ruisseau pour m'y désalterer.

Ai aperçu plusieurs silhouettes dans le lointain, comme des homoventres. Il me tarde de rencontrer une de ces créatures, telles que décrites par Asako le Shugenja*.

 

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* Note : Asako est effectivement le premier à avoir jamais décrit un homoventre. Il ne s'est pas attardé sur le sujet, l'ayant mis sur le compte d'une vision ethyllique due à l'abus de saké. Ce n'est que plus tard que l'existence de ces créatures fut confirmée par un explorateur hisconte.

 

 

Jour 27

 

La plaine que je traverse est étrange. Ses collines bombées aux pentes douces et quasi féminines, à l'herbe rase comme un gazon bien entretenu me mettent mal à l'aise. Les arbres ne sont pas des arbres normaux, ce sont des êtres étranges, que je vais tenter de décrire:

Cet arbre - ou est ce un homme ? - ressemble à un homme musclé jusqu'à la ceinture. Ses muscles rivaliseraient de puissance avec le plus féroce gorille. Sa partie inférieure est complètement végétale, puisqu'il s'agit d'un tronc d'arbre, avec de profondes racines.

Je me poste en observation derrière une pierre pour ne pas être remarqué. Je m'aperçois alors que la pierre, qui affleure du gazon bien tendu, a une forme remarquable : on dirait une narine de près de un mètre de diamètre. Tout y est représenté, y compris les points noirs et les poils de nez. Je pense que je vais passer la nuit derrière cette pierre.

 

Jour 28

 

J'ai été réveillé au matin par une odeur très désagréable (Asako la décrit comme caractéristique). Une voix amène m'interpelle, et je vois un visage ingrat dans la demi pénombre du matin.

- Bonjour jeune homme, cela vous dirait de passer du bon temps avec moi ?

Je me réveille tout à fait et je m'aperçois qu'un homoventre s'est approché de moi pendant la nuit. Son visage contourné est très laid, et le sac dont sa tête est le seul appendice est répugnant, avec ses touffes de poils roux et épars. L'odeur écoeurante émane de la créature et évoque une latrine mal lavée.

- Dites donc jeune homme, cela vous déboîterait la mâchoire de me répondre ? me dit l'homoventre d'un air courroucé.

- Râââh laissez moi tranquille, homoventre, hurlai-je (qui n'a jamais rencontré d'homoventre au petit matin gris après s'être endormi sur une narine ne peut pas me comprendre).

- Allez, jeune homme, soyez sympa, quoi, juste une petite gâterie !

Je ramasse mes affaires pêle mêle et je décide de me concentrer sur un autre sujet : le sylvêtre (j'ai nommé ainsi l'arbre étrange d'hier) ; je plante là l'homoventre, qui ne cesse de m'insulter. Je m'approche du sylvêtre d'un air résolu. Après tout, il est planté en terre et si je reste à bonne ditance je ne risque rien. En me voyant arriver, il ouvre les yeux.

- C'est à quel sujet ? me dit-il d'une voix rude.

- Eh bien, lui réponds-je, je suis scientifique et explorateur, et je recense tous les êtres inconnus pour faire des rapports à l'université d'Hiscontie.

- Et qu'est ce que cela peut bien me fiche ? me répond le sylvêtre.

- Euh.. accepteriez-vous de répondre à quelques questions ?

- 'voyez bien que je n'ai que ça à faire.

- On y va alors. Qui êtes vous ?

- Gérard.

- Quel genre de créature êtes-vous ?

- Je suis un (hésitation) un ...

- Oui ?

- Bah, je sais pas. Vous êtes quoi vous ?

- Un humain.

- Pareil.

- Ah non ! Vous, vous avez un tronc et des racines.

- OK, OK, je ne voulais pas vous vexer. Question suivante.

- D'où venez vous ?

- De la colline là-bas. (Ces réponses sont consternantes, mais je n'ai pas envie de courroucer le sylvêtre, il pourrait très bien m'en coller une.)

- Qui étaient vos parents ?

- Ça vous regarde ? vous êtes de la police ?

- Vous êtes animal ou végétal ?

(Après une longue réflexion :)

- Actuellement, végétal. Si je me déplace, je serai plûtot animal.

J'ai le dos inondé de sueurs froides. J'ai intérêt à marcher sur des oeufs avec ces sylvêtres.

- Comment vous nourissez-vous ?

- Comme un végétal.

 

Soudain, je sens une odeur nauséabonde. L'homoventre m'a suivi et me fait une autre proposition infâme. Il ose même mettre en doute la vertu de ma mère.

- Attendez, me dit le sylvêtre d'un air résolu.

L'homoventre se tourne vers lui et déverse un flot d'insultes :

- Alors impuissant ? On prend racine ? On veut se faire le jeune homme ?

Le sylvêtre rougit à ces mots ; il plante ses deux bras musculeux dans le gazon et, arrachant ses racines du sol, il se rue en marchant sur les mains droit sur l'homoventre.

- VA TE FAIRE VOIR CHEZ LES TERMITES !! hurle-t-il en propulsant la vile créature dans les airs.

 

 

Jour 30

 

J'ai passé ces derniers jours à observer cet endroit étrange ou j'ai atterri. Caprice du Nonsense ou reste d'un mythique empire, je ne sais. Ce gazon collineux et bien entretenu, parsemé çà et là de petites fleurs jaunes et blanches, offre le spectacle étrange de sculptures gigantesques représentant diverses parties du corps humain, émergeant à demi du gazon.

J'ai recensé jusqu'ici:

- 14 sculptures d'oreilles

- 5 nez complets

- 111 narines

- 123 orteils de toutes tailles

- 1 sein

- 1 sexe masculin

- 4 paires de lèvres pulpeuses

- 2 fesses

Aucune de ces sculptures ne faisaient moins de deux mètres de haut, et la plus grande, représentant un visage de femme, faisait près de 10 mètres sur 8, avec une hauteur de 5 m à l'endroit le plus élevé.

 

Jour 31

 

J'ai complété mes croquis et mes notes sur les homoventres et les sylvêtres. Les vivres commencent à manquer. Il n'y a pas un seul animal ou un seul arbre fruitier ici.

 

Jour 32

 

Alors que je cherche de quoi manger, je découvre, par delà une grosse colline, une colonie de créatures rondes et surprenantes, de couleur pâle. je ne les vois pas bien de là où je suis et je me dirige vers elles. Ma progression est ralentie par un homoventre qui me fait une proposition indécente. Mais j'en rencontre tous les jours, et n'y prête pas plus d'attention qu'il n'en est nécessaire pour lui envoyer un coup de pied dans les dents.

De près, les créatures rondes semblent assez grandes, près de deux mètres de diamètre. On dirait d'énormes ballons roses pâle, qui possèderaient un visage humain étalé sur une de leurs faces. Des cheveux très fins recouvrent le dessus des créatures. Devant l'une d'entre elles se tient un homoventre, qui semble lui faire des remarques désobligeantes sur son physique - qui est il est vrai assez ingrat.

Soudain, le vent se lève, et à ma grande surprise toutes les créatures rondes semblent comme poussées par le vent. Plusieurs passent même la crête de la colline.

Quant à l'homoventre, la créature ronde la plus proche de lui lui a roulé dessus.

Je suis contraint de me mettre à l'abri, n'ayant pas envie de me faire écraser par mégarde, et j'ai juste le temps d'entendre l'homoballon (C'est comme cela que j'ai baptisé la créature) s'esclaffer :

- Je suis peut-être gros et lourd, mais moi au moins je roule...

 

Jour 33

 

La faim me tenaillait ce matin, et j'ai été obligé de tuer et de manger l'homoventre qui venait quotidiennement m'importuner. Il a juste eu le temps de me maudire avant d'expirer:

-Tu n'as pas le droit de me traiter comme ça ! Moi aussi j'ai droit à une vie sentimentale ! Sois maudit jeune homme, chaque jour un homoventre viendra te faire regretter ton geste, à toi et tous tes descendants -couic-

 

La viande de l'homoventre est infecte, comme je m'y attendais, mais toutefois comestible.

Je profite de la tranquillité de l'après-midi pour reprendre mes observations sur les homoballons. Plusieurs caractéristiques méritent d'être notées :

Les homoballons ne se déplacent qu'avec le vent, qui les rend très légers. En l'absence du vent, ils sont très lourds. Auraient-ils un lien avec les affreuses choses-qui-tombent ?

Leur philosophie, pour autant que je puisse en juger, est un peu plus calme que celle des sylvêtres ou les homoventres. Normal pour une créature qui se déplace avec le vent !

 

Jour 34

 

Enfin, je vois passer dans le ciel une forme caractéristique : un schmürxzl volant à trompe hexagonale. Je siffle "Taxi"! et peux enfin me tirer de cette contrée de fous ! Vivement ma bonne baronnie et foin de ces créatures grotesques !

 

 

Note :

La baronnie de Rawt, qui est située aux confins est de l'hiscontie, est notoirement maudite depuis près de cent trente ans (le baron vivait dans le années 1880). Il apparaît tous les jours dans ce pays une nouvelle créature, qui prétend venir de ce lontain pays que le baron a visité, et que les créatures appellent l'Homoventrie. Un homoventre apparaît lui aussi chaque jour dans la demeure seigneuriale des Rawt. Les habitants vivent avec le phénomène, et plus personne n'est étonné maintenant quand au détour d'un chemin une voix polie leur sussure:

- Hep jeune homme ! Cela vous dirait de passer du bon temps avec un homoventre ?

-...

- Hein dites ?

- Passez votre chemin et laissez moi tranquille, homoventre !

- Puceau ! Je le savais espèce de ... BAFFF !

 

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