Les Chers

 

Dessin de Cher, par Loonce SelagnesA la rencontre des Chers

Ces créatures étranges, aussi appelés Saute-rochers, Nympheroches (pour les femelles), ou plus vulgairement Pattes d'Eph, ont été observées pour la première fois en 1550 après J dans les montagnes à l'Ouest de l'Hiscontie, par des bergers qui faisaient paître leurs argus, pas très loin de la cité minière de Kèp.

C'est l'un de ces bergers qui, de retour après la transhumance, décrivit ces êtres comme "des chèvres rayées à pieds d'éléphant". La description ne renseigna pas beaucoup les Hiscontes, car presque tout le monde en Hiscontie ignorait ce qu'était une chèvre ou à quoi pouvait bien ressembler un éléphant (contrairement au berger en question, qui d'ailleurs en avait vu bien d'autres dans ces hauteurs incertaines). D'où le dessin que réalisa le berger, plus explicite que de longs discours, mais qui ne laissa pas d'étonner bien des gens. Après quelques semaines de curiosité, et faute de nouveaux événements plus surprenants encore, on se désintéressa de la question et personne n'entendit plus parler de ces bêtes.

Les Hiscontes étaient et sont encore loin d'imaginer que les Chers (du sobriquet que leur donna alors le berger, parce que les êtres en question appelaient tout le monde "mon cher") forment un peuple cohérent, qui habite quelque part dans les montagnes qui se dressent à perte de vue à l'Ouest de l'Hiscontie. Un peuple cohérent, sans doute, mais certainement pas "civilisé" au sens où l'entendent les Hiscontes. Au fil des ans, de nombreuses autres apparitions et rencontres de Chers ayant été rapportées par des gens des montagnes, les Chers entrèrent dans l'imaginaire des Hiscontes sous la forme d'une de ces peuplades exotiques et peu fréquentables que l'on s'accorde en Hiscontie pour appeler (avec un frisson dans le dos) les "Peuplades Insensées".

Les Chers, pourtant, sont loin d'être Insensés. Enfin, c'est ce qu'ils répondraient si on le leur demandait. Par contre, c'est vrai qu'ils sont bizarres... ce qui n'a pas empêché certains bergers, grimpeurs et guides des montagnes de nouer avec eux des relations tout à fait cordiales, bien qu'épisodiques. "Il faut les connaître", reconnaissent-ils devant qui les interroge. Et de fait, les Chers ont des coutumes et des habitudes de comportement et de langage relativement surprenantes, mais ils sont incontestablement doués d'intelligence et possèdent une culture propre.

Apparence physique et données biologiques

Leur aspect physique est déjà étonnant. Ce sont effectivement des sortes de chèvres bipèdes ; mais des chèvres qui n'auraient de fourrure que sur la tête, le cou, le ventre et les jambes, et auraient le dos et les membres antérieurs couverts d'une peau de dinosaure faite d'écailles, bien que très lisse au toucher. Tandis que la fourrure ventrale est invariablement d'un bleu clair assez vif, la couleur de la peau dorsale varie selon les individus, le plus souvent noire, vert sombre ou bleu sombre, de même que celle des rayures, qui sont généralement d'un violet ou d'un mauve vif, voire, chez les Chers dits "roux", jaune ou orange fluo ("pour éviter les accidents avec les voitures", disent-ils en guise d'explication). La queue, qu'ils ont juste assez longue pour toucher le sol, est indéniablement lézardesque, et repousse, d'ailleurs, si on la coupe. La tête, à l'expression douce, est tout à fait celle d'une chèvre (signalée elle aussi à plusieurs reprises par les bergers hiscontes, la chèvre est un animal de montagne assez rare, de même que l'éléphant, en qui certains voient un ancêtre du Schmürxzl), avec un museau et deux cornes noires. Deux différences : les Chers ont les deux yeux du même côté de la tête (le côté gauche), ce qui les conduit à souvent l'incliner vers la droite pour "rétablir une vision panoramique" ; et leurs mâchoires sont doublées d'une seconde paire de mâchoires plus petites, dites "mâchoires internes", qui ressemblent assez à un bec de dinosaure herbivore ; les deux paires de mâchoires sont solidaires et se meuvent toujours ensemble. Ils ont des mains pouvues de quatre doigts tous opposables entre eux et de longues griffes (qu'ils ne rétractent jamais, même pour se caresser ou se gratter, mais cela ne semble pas les incommoder le moins du monde). Les jambes des Chers sont articulées comme celles des humains. Quant à leurs pieds, ce sont bien des pieds d'éléphant, comme l'avait dit le berger dès la première rencontre.

Ajoutons que les explorateurs et guides de montagne qui se sont aventurés assez loin au-delà de la frontière ont été les témoins d'étranges phénomènes : des silhouettes dans la nuit tombante, observées en train de grimper aux parois ou de circuler près des entrées des cavernes et des crevasses, des Chers sans doute possible, brillaient d'une lueur phosphorescente, très faible, mais incontestablement une lumière. Il semble donc que même en dehors des roux, les Chers possèdent tous une pigmentation lumineuse dans la peau du dos. Toutefois, chez les Chers non roux, ce ne sont pas les rayures qui brillent, mais le reste de la peau, d'une lumière verte ou incolore, et avec une intensité bien moindre.

Les Chers sont sexués et se reproduisent en s'accouplant, ce qu'ils font n'importe où et n'importe quand sans la moindre notion de pudeur ou d'intimité (mais gare à qui les regarde faire : il est parfois arrivé qu'un naturaliste de passage se prenne une double paire de gifles de la part des partenaires, qui l'instant d'avant ne s'occupaient nullement de lui, et ne s'en occupaient d'ailleurs plus du tout l'instant d'après, ayant repris leurs ébats sans plus lui prêter la moindre attention). Ils sont vivipares, mais on ne sait pas très bien qui porte les enfants : la femme tombe enceinte, ou bien l'homme, c'est selon, et on a déjà observé qu'une grossesse entamée quelques mois chez la femme cesse brutalement au bout d'un mois ou deux ; l'homme tombe alors enceint à son tour et menant la grossesse à terme pour les mois qui restent, il finit par accoucher (ou bien c'est l'inverse). On ignore quels mécanismes physiologiques permettent ces aberrations prénatales, dont les petits ne semblent nullement affectés par ailleurs. La grossesse dure habituellement entre six et douze mois (là encore, il y a d'amples variations, sans lien aucun avec d'éventuels problèmes de santé). Un couple de Chers met habituellement au monde entre trois et cinq petits, qui peuvent espérer vivre au moins une cinquantaine d'années. La mortalité (infantile ou non) est relativement faible (les morts sont généralement dues à des accidents en montagne), mais une part non négligeable de la population finit par se transformer en autre chose que des Chers sous l'action métamorphosante du Nonsense.

Mode de vie

Il semble que les Chers vivent par petits groupes d'une quinzaine d'individus au plus, généralement huit ou dix ; ils se déplacent à travers les montagnes, vivant quelques semaines à un endroit donné (sur un endroit plat de la paroi, dans une caverne ou anfractuosité de la roche, ou plus rarement un vallon séparant deux pics) avant de déménager vers un autre, les trajets durant entre un et cinq jours. On ignore ce qui détermine le choix de ces endroits, car ils sont parfois très venteux, effroyablement difficiles d'accès ou peu confortables ; le seul critère semble être que les Chers s'y plaisent bien. Une fois choisi un site, ils s'arrangent parfois pour y accumuler une grande quantité de neige, à l'aide de laquelle ils confectionnent de grosses briques de neige compressée, dont ils se font une sorte d'igloo modifiable à volonté. La construction peut prendre une journée entière et mobilise toute leur énergie. Au demeurant, ils sont presque toujours dehors, et il leur arrive très souvent de dormir à la belle étoile devant l'entrée (mais défense à quiconque de pénétrer chez eux).

L'occupation la plus courante des Chers pendant la journée est de sauter de rochers en rochers en bavardant et en poussant des cris joyeux ; cette activité, pratiquée avec une application constante, revient en fait à faire de grandes promenades autour du camp, qui peuvent se changer en de véritables randonnées à travers la montagne. Il n'y a pas vraiment de distinction entre se promener et partir à la chasse ; tout moment leur est bon pour manger, ils n'ont ni heure ni lieu fixes pour leur repas, et ils ne tiennent pas spécialement à se rassembler pour se nourrir, même s'il leur arrive souvent de manger à plusieurs. Chacun chasse pour son propre compte, et ce n'est que si les enfants n'ont rien trouvé à manger depuis trop longtemps que les parents interviennent pour leur éviter la famine. Les Chers se nourrissent, disent-ils, de "petits animaux des montagnes", tels que les chèvres ou les éléphants, et ils ne dédaignent pas un mammouth ou un dromadaire s'ils leur arrive d'en croiser (ils disent même une fois avoir goûté d'un météore tombé non loin, mais personne ne les croit, bien que cette éventualité puisse expliquer bien des choses, par exemple leur radioactivité, découverte par le sage Acouste en 1653 après J). Il leur arrive également d'attraper des poissons ou des oiseaux (qu'ils attrapent en plein vol en leur bondissant dessus selon une technique ancestrale).

D'ordinaire ils mangent cru.

Si jamais ils ont besoin, pour fêter quelque chose par exemple, de marquer le coup en cuisant un aliment, ils doivent rejoindre le chef de tous les Chers, le Gloire, Vie, Santé (c'est son titre officiel). En effet, le Gloire, Vie, Santé et les quelques membres de son groupe sont les gardiens du secret de la cuisson ; le Gloire, Vie, Santé (que l'on désignera désormais par l'abréviation GVS afin de ne pas abuser de la patience du lecteur) est le détenteur d'un artefact appelé le Flamme Cubique, dont il se sert pour cuire les aliments que viennent lui présenter ses sujets ; en échange, il a le droit d'en prélever une substantifique part, exerçant en cela ce que l'on appelle le "droit de cuisage", qui est un reste d'une ancienne tradition suivant laquelle le GVS devait prouver devant tous son aptitude à bien cuisiner en goûtant le premier ce qu'il avait préparé, à charge pour lui de supporter les conséquences d'une éventuelle cuisson ratée. Des érudits venus d'un pays lointain pour étudier la question sont parvenus à identifier la Flamme Cubique comme un four à micro-onde récupéré on ne sait où, qui possède l'étrange propriété, malgré sa taille très modeste, de pouvoir cuire absolument tout, et l'on y enfourne les éléphants sans difficulté. Le GVS est le seul à pouvoir manipuler et transporter cet artefact : il le porte avec des bretelles, comme un sac à dos, et c'est un de ses trois signes distinctifs, avec les maniques qu'il porte sur la tête (une sur chaque corne) et sa barbiche en spirale (les autres Chers ne se coiffent jamais). Trouver le GVS et son groupe requiert de partir à sa recherche tout spécialement, et cela peut prendre des semaines, car le GVS, comme tous les Chers, voyage beaucoup, et les seules indications dont on dispose pour savoir où il est sont celles que vous donnent les autres groupes que vous croisez en chemin, s'ils ont croisé le groupe du GVS. Pour les Chers, il est donc impératif de partir à la recherche du GVS quelque temps avant le moment où il faudra cuire un aliment, car si on ne s'y prend pas à l'avance, l'aliment en question ne sera probablement plus en état d'être cuit une fois trouvé le GVS.

Mais d'ordinaire ils mangent cru.

Régime politique, code juridique et comportements sociaux

Comme leur nom l'indique et malgré les apparences, les Chers ont une vie sociale très ritualisée : les hommes appellent tout le monde "mon Cher" (ou "ma chère" pour les femmes), à l'exception du GVS, que tout le monde appelle toujours Gloire, Vie, Santé (abrévier serait, pour un Cher, un crime de lèse-majesté). Les femmes entre elles s'appellent "ma chérie". De même un amant a le droit d'appeler son amante "ma chérie", mais celle-ci doit exclusivement l'appeler "mon lézard" (ce n'est pas un diminutif, mais une marque de tendresse tout à fait intégrée à la langue de tous les jours). Toute infraction à ces règles tacites vaut à celui qui commet la faute d'être exclu de la discussion pendant un bon quart d'heure : tout le monde fait et parle comme s'il n'était pas là, mais on le foudroie du regard de temps à autre s'il tente de se manifester ; passé ce quart d'heure, tout le monde fait comme si rien ne s'était passé (et il est hors de question d'évoquer de nouveau l'incident).

Tête de Cher, par Loonce SelagnesOn a longtemps pris le Gloire, Vie, Santé pour le roi des Chers ; il faut dire que son titre et les honneurs qu'on lui rend prêtaient un peu à confusion. En fait, en dehors de ses fonctions oraculo-culinaires, le GVS ne possède pas le moindre pouvoir sur ses sujets. Bien que ces derniers se reconnaissent comme tels et parlent toujours de lui avec le plus grand respect, ils ne tiendraient aucun compte d'éventuels ordres, et d'ailleurs le GVS ne songerait jamais leur à en donner. Personne n'est chargé de prendre les décisions importantes, pour la bonne raison qu'il n'y en a jamais à prendre, et les Chers ne se réunissent jamais tous ensemble ; bien qu'au courant des nouvelles et de la vie des uns et des autres par les échanges qu'ils ont avec les autres groupes de Chers qu'ils croisent, ils restent constamment dispersés dans les montagnes.

Il n'y a chez les Chers aucune trace de la moindre hiérarchie sociale ni de la moindre prééminence d'un individu sur les autres : personne n'a jamais pu trouver chez eux de distinctions particulières permettant de parler de groupes sociaux, d'ordres ou de classes. D'ailleurs, il n'y a même pas de corps de métiers, car aucun Cher n'exerce de métier défini. Si un Cher a besoin de se procurer un produit quelconque, qu'il s'agisse de sa nourriture, d'un produit manufacturé ou même d'un service, quatre solutions s'offrent à lui : soit il parvient à faire ça lui-même au moyen de ce qui chez eux s'appelle le "bricolage" (et c'est souvent surprenant ce que le Cher moyen est capable de "bricoler" par des talents prodigieux révélés soudainement), soit il parvient à faire quelque chose de différent (et qui parfois n'a absolument rien à voir avec le besoin premier) mais qui lui convient aussi bien, soit il renonce complètement (ou plutôt il oublie dans les cinq minutes qui suivent), soit il utilise un voisin, et là, deux moyens s'offrent à lui : soit il dérobe ce qu'il lui faut au premier Cher venu discrètement ou à coups de baffes (ou même au premier venu tout court, monstre ou Aventurier compris), soit il amène le Cher et/ou le premier venu en question à lui procurer ce qu'il désire, en le lui demandant poliment et/ou en le tannant jusqu'à ce que l'autre accepte.

En un mot, les Chers se débrouillent couramment tout seuls, et ils ont recours les uns aux autres si occasionnellement qu'on peut même se demander s'il existe une véritable société ou même une conscience de groupe chez eux. Remarquez, vu les absurdités qu'ils font quotidiennement, on peut aussi se demander s'il existe chez eux une conscience tout court...

L'unique embryon de société chez les Chers est le groupe, déjà mentionné, d'une dizaine ou quinzaine d'individus. On ne peut même pas dire que ce soit vraiment une famille ou même une réunion d'amis, car les liens familiaux sont assez lâches chez les Chers. Si les Chers qui se reproduisent ensemble restent relativement fidèles et mènent une véritable vie commune, cette vie de couple dure rarement plus de huit ou dix ans. Quant aux enfants, il arrive assez couramment qu'on se les échange entre couples, et il y a aussi quelquefois des échanges de femmes ou de maris, selon les goûts de chacun. La notion d'adultère n'a peu près aucun sens, et tout le monde trouve cela parfaitement normal. D'ailleurs, il n'y a aucun rite social d'union entre hommes et femmes, rien d'équivalent au mariage, ni même au concubinage. Conséquence logique de cette situation, les notions de parricide, matricide, fratricide, assassinats ou querelles graves entre membres d'une même famille supposée, de même que la notion d'inceste, sont inconnus chez les Chers. Pour cela, il faudrait pouvoir se reconnaître durablement ou tout simplement se connaître entre membres d'une même famille supposée ; or, il arrive couramment chez les Chers que les enfants connaissent à peine ou pas du tout leurs parents et réciproquement. Chez les Chers, le lien social le plus fondamental est celui que tissent les rencontres au hasard et les bouts de chemin faits ensemble (bonds parmi les rochers inclus).

L'absence complète de loi et de système judiciaire chez les Chers et l'anarchie complète qui en résulte ne doivent pas conduire à prendre un peu vite leur société pour un monde de chaos et de brutalité déchaînée. En fait, bien que tout ou presque soit permis, on assiste rarement à de véritables excès ou à des crimes graves ; et encore, ces derniers sont d'abord à mettre sur le compte de quelques querelles isolées qui s'échauffent un peu trop, ou plus souvent sur le compte de crises de démence provoquées par le Nonsense omniprésent dans la région. La plupart du temps, les Chers brillent par leur caractère pacifique, voire placide, malgré leur propension remarquable à faire des acrobaties farfelues un peu partout et/ou à parler incessamment pour ne rien dire de sérieux. Les conflits qui naissent entre Chers (provoqués notamment par les vols ou les harcèlements mentionnés ci-dessus) se résolvent généralement par de spectaculaires disputes, durant lesquelles l'éventuel spectateur peut voir se déployer toute la puissance de l'organe vocal des Chers, qui résulte lui aussi, d'après les beuglements qu'il émet, d'un improbable croisement entre l'éléphant et la chèvre ; ajoutons que les Chers possèdent un don inné pour l'organisation rhétorique du discours (discours pendant lequel ils n'hésitent jamais à prendre l'assistance à témoin, surtout quand celle-ci ne souhaite absolument pas se mêler de leur affaire). Ces disputes finissent très souvent par tourner court, les deux partis oubliant complètement le sujet initial de leur conversation, pour en venir à discuter cordialement de tout à fait autre chose, ou même par retourner chacun ailleurs, sans plus accorder la moindre importance au litige.

Au bout du compte, hormis le GVS déjà mentionné, l'unique règle de vie des Chers semble être la politesse, règle qui s'exerce avec tout le monde et dans toutes les circonstances. Un Cher pourra se disputer autant qu'il voudra avec un autre, lui beugler à l'oreille, lui flanquer des baffes, voire le trucider macbethesquement, à aucun moment il ne l'insultera et il continuera toujours à lui donner du "mon cher". Le voyageur de passage, la chèvre ou l'éléphant qui lui serviront de déjeuner, le monstre né du Nonsense à qui il servira de déjeuner, bénéficieront eux aussi des mêmes égards de la part d'un Cher.

Les Chers et la magie

On ne connaît aucune forme de magie chez les Chers, du moins aucune qui semble maîtrisée. On ne leur connaît ni sortilèges définis, ni faculté apparente pour mobiliser des énergies magiques, et encore moins une quelconque théorisation de la magie. Ils n'ont pas de livres de sorts, pas plus qu'ils n'ont de livres tout court. Les quelques connaissances spécifiques à la communauté cher, par exemple les conseils sur le déplacement et la survie en milieu montagneux, ou bien les règles de politesse, sont transmises de vive voix, ce qui permet d'identifier la société cher comme une société orale (cela n'empêche pas que tel Cher se découvre des talents d'écrivain ou d'imprimeur sous le coup d'une inspiration aussi subite que momentanée). Les dons étranges des Chers pour ce qu'ils appellent le "bricolage" et leur capacité à déployer parfois des compétences complètement inattendues telles que le pilotage d'un cargo spatial matérialisé par hasard dans les environs, ou bien la peinture rupestre pratiquée sur le dos d'un éléphant endormi, ont plusieurs fois fait soupçonner aux mages et aux érudits l'existence d'une magie qui leur serait spécifique. Mais il semble plutôt que ces "dons" soient encore une fois l'oeuvre du Nonsense ; n'oublions pas que nous sommes en pays instable...

Les Chers et le Nonsense

Confrontés aux manifestations du Nonsense, les Chers montrent une caractéristique typique des Peuplades Insensées : étant eux-mêmes nés du Nonsense et affectés par lui dès l'origine, ils le considèrent généralement comme l'expression même de la normalité. Ils n'ont que peu d'idée de ce que doit être une réalité cohérente et ignorent totalement le concept de banalité. Ce n'est pas que le Nonsense ne les étonne pas : ils aiment à s'étonner de tout, et seront ravis d'essayer une paire de nageoires dans le premier cours d'eau venu s'il leur en pousse une, mais ils n'auront jamais l'idée de se demander comment ou pourquoi elle est apparue. Mais ils ne s'intéressent pas systématiquement aux Evénements Phantasmagoriques Spontanés que provoque le Nonsense dans leur environnement immédiat : ses manifestations leur sont quelquefois indifférentes (surtout quand ils sont occupés à autre chose) et ils se comportent toujours comme si ces étrangetés relevaient d'une certaine normalité, contrairement aux explorateurs hiscontes, qui y voient toujours un déraillement de la réalité. En un mot, ils se posent peu ou pas de questions, ce qui les rend monstreux pour des Hiscontes, mais leur confère cet avantage décisif de pouvoir s'adapter à tout et n'importe quoi en un éclair. Ils sont toujours prêts à "jouer le jeu" de cette réalité altérée qui se présente, à réagir en face de ce à quoi on n'a logiquement jamais à réagir.

Les dangers que le Nonsense représente pour n'importe qui n'épargnent pas les Chers, et dans la mesure où les EPS mettent leur vie en danger, ils conservent toujours un semblant d'instinct de survie. Ils ont seulement tendance à réagir au dernier moment, ou encore à utiliser pour fuir ou se protéger des moyens absurdes (un Cher menacé de tomber dans une crevasse tentera parfois de s'envoler en battant des bras, un Cher menacé d'être dévoré par un monstre tentera aimablement de lui démontrer l'inutilité totale de se nourrir à ce moment précis, etc.). En termes d'Attitudes, les Chers, en tant que Peuplades Insensées, ne sont jamais Raisonnables, mais on observe aussi qu'ils ne deviennent jamais ni Supérieurs, ni Incrédules, et assez rarement Fatalistes. Les Attitudes dominantes chez eux sont plutôt la Placidité et une forme de curiosité légère qui n'existe que chez les Peuplades Insensées. Il leur arrive d'être Horrifiés ou Révoltés, quand ils ne sont pas tout simplement Fous.

L'influence du Nonsense sur la psychologie des Chers entraîne parfois, outre la vie sociale on ne peut plus étrange déjà décrite, deux types d'effets ponctuels :

- des crises passagères de folie furieuse durant lesquelles le Cher s'en prend à tout le monde et casse à peu près tout sur son passage. Ces crises durent rarement plus de quelques minutes (un bon quart d'heure tout au plus) et se terminent en général brutalement, le Cher ne gardant alors aucun souvenir de ce qu'il a fait pendant ce temps.

- des "dons" subits dans tel ou tel domaine de compétence, qui se traduisent en termes de jeu par l'acquisition d'une compétence quelconque, au hasard du moment, entre 20% et 60% en gros, pour une durée comprise entre une dizaine de minutes et un ou deux jours, avec une moyenne autour de deux ou trois heures. Ce phénomène se retrouve avec des variantes chez de nombreuses créatures nées du Nonsense. Chez les Chers, ces compétences, qui n'ont rien à voir avec ce qu'ils savent faire d'ordinaire, se concentrent généralement dans deux ou trois domaines : la mécanique des engins (conduite automobile, pilotage d'aéronefs ou même de vaisseaux spatiaux, construction ou réparation de machines complexes...), la zoologie (connaissance parfaite des relations diplomatiques entre chèvres et éléphants depuis les trente dernières années, fort utile pour discuter avec les unes ou les autres dans leur langue natale soudainement apprise) et les arts (poésie lyrique, chant, récitation d'anciennes épopées, improvisations à la corne de brume, etc.).

Enfin, les Chers sont exposés aux métamorphoses physiques que le Nonsense peut provoquer chez eux, comme chez n'importe quel être vivant séjournant dans une contrée instable. On observera que les Chers se formalisent assez peu de la perte de leur apparence initiale ; ce ne serait pas leur genre de se considérer comme "aliénés" ou rendus difformes par ces transformations intempestives.

Conseils au Chroniqueur pour interpréter les PNJ Chers

La description qui précède vous donne assez d'informations pour interpréter des PNJ Chers pendant vos parties. Voici cependant quelques conseils récapitulatifs :

- Paroles : Les Chers sont excessivement attachés à la politesse, purement pour la forme. Ils appellent tout le monde "mon Cher" et ne prononcent jamais d'insultes contre quelqu'un, même s'ils sont en train de lui administrer une franche engueulade. Très attachés également à l'organisation rhétorique du discours, ils trufferont leurs répliques de "donc", "par conséquent", "ainsi", "d'une part, d'autre part", "certes", "néanmoins", "à ce propos", etc., toutes particules logiques employés principalement pour passer du coq à l'âne. Il est extrêmement difficile de rester sur un sujet donné pendant une conversation avec eux : les interroger ou obtenir d'eux une réponse sur un point précis réclame immanquablement de grandes qualités de patience et de persévérance... En dehors de cela, les Chers ont la langue bien pendue, la parole dynamique, traversée de traits d'esprit, de blagues d'un humour assez fin, et parfois même de signes d'un authentique esprit poétique. Aussi toqués qu'ils semblent, il faut reconnaître qu'on s'ennuie rarement avec eux.

- Gestuelle : Les Chers ne cessent de s'agiter, de marcher, de gesticuler, de faire des cabrioles. Ils restent rarement plantés à discuter au même endroit, mais vont de long en large, font les cent pas en parlant, multiplient les expressions outrées du visage telles que les froncements ou haussements de sourcils, les mimiques d'indignation, de dédain, de curiosité, d'effroi, les élans de lyrisme et d'amour subits, ils font de grands gestes, se frappent les cuisses, se frappent le front, frappent des mains, etc. N'hésitez pas à les faire partir en courant dans une direction au hasard et sans raison aucune, ou encore à leur faire attraper la main d'un Aventurier, l'entraîner ou le tirer par la manche à tout propos, etc.

- Caractère : En deux mots, les Chers sont aimables, sympathiques, enthousiastes, bons vivants, naïfs, curieux de tout et très occupés à la fois, mais leurs incessants changements de registre et changements de sujets pourront très rapidement les rendre agaçants voire insupportables aux Aventuriers. Ne faites pas pour autant des Chers des gens complètement fous : ils sont simplements excentriques à l'excès, avec de francs passages de folie (douce ou furieuse), mais ils possèdent une réelle intelligence. Il est difficile de garder son calme lors d'une discussion avec des Chers (on hésite parfois entre leur pouffer de rire au nez et leur coller une baffe) mais si on arrive à les supporter et à rester prudent avec eux, on peut parvenir à s'en faire de bons conseillers pour survivre dans les montagnes et réagir face aux effets du Nonsense.

Les Chers, pour BaSIC/Fantasia

Les caractéristiques données ci-dessous offrent des fourchettes représentatives des "scores moyens" de la population cher.

En combat, un Cher commence habituellement par baffer son adversaire, puis, si les choses deviennent sérieuses, à lui donner des coups de griffe. Il ne mord ou ne rue que s'il est vraiment furieux.


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