Les Combattants (par Wenlock)

 

 

Comme pour nombre d'autres professions, l'apprentissage d'un guerrier oriente fortement sa technique et son état d'esprit; son enseignement va également dépendre de son milieu (culture et classe sociale), des circonstances de son "orientation" et de sa formation aux armes: si les soldats de métier, gardes, miliciens et autres reçoivent un entraînement minimum avant d'être envoyés "au feu" pour s'aguerrir dans l'action, la plupart des conscrits mobilisés lorsque l'armée de métier se révèle insuffisante sont envoyés au combat presque sitôt incorporés (la coordination comptant alors moins que le nombre) où ils apprendront sur le tas à tuer ou être tués. Les peuples vivant en état de guerre permanente (comme souvent les "barbares") ont quant à eux une culture et donc un enseignement martiaux quasi-naturels: on y est guerrier de père en fils, parfois de mère en fille, et l'habileté aux armes et une valeur commune, bien que les meilleurs chefs de guerre tendent à améliorer ou à spécialiser leurs troupes. Les familles nobles ont presque toutes un maître d'arme (sans majuscules) sous une forme ou sous une autre: un véritable enseignant, un vétéran à l'âme pédagogique, un garde du corps dévoué (relire "Dune" d'Herbert), un parent combattant...mais cet enseignement est parfois édulcoré en une sorte de passe temps, un jeu de cour qui n'a pas réellement pour vocation d'enseigner la mort et la survie les armes à la main.

Les combattants sont presque toujours une "caste" à part dans une société: de part leur lien symbolique avec la mort et la violence, ils en matérialisent la barbarie et/ou la loi, suivant qu'ils sont une force de rébellion, de "maintient de l'ordre" ou d'oppression, de conquête ou de défense. Et chacune de ces forces sera différemment vue selon le contexte politique et militaire ("guerrier") du moment: pour citer Nicolas Machiavel, " La guerre fait les Héros, la paix les pend " et ce qu'une société tolère de ses "défenseurs" durant un conflit, elle ne l'accepte pas de fauteurs de troubles en période de paix.

On distinguera tout particulièrement les combattants liés à une organisation, un état ou une autorité quelconque des "combattants privés" sans attaches ni légitimité et parmi lesquels on trouve principalement des hommes de mains allant du mercenaire au détrousseur, vivant d'expédients et de rapines, des "gens d'armes" qui sont toujours considérés avec ce mélange si particulier de crainte et de mépris qui leur vaut presque à coup sûr les foudres de l'ordre publique... Ces combattants là, si prisés par les joueurs, sont minoritaires et marginalisés à l'extrême: la Garde les accueil en force à l'entrée de chaque bourgade, les aubergistes leur ferment la porte par crainte d'exactions variées, les grandes villes ne les tolèrent que dans les faubourgs (c'est à dire hors les murs). Hormis les "filles à soldats", les femmes fuient ces hommes qu'on dit paillards et violents (et qui le sont souvent); les prêtres les maudissent; les marchands leur font payer le prit fort ou refusent de les servir; les villageois s'enfuient à leur approche avec biens et bétail... Toutes ces petites tracasseries plus ou moins méritées rendent généralement les "gens d'armes" irritables, irrespectueux, agressifs, violents voir sanguinaires, alimentant ainsi leur mauvaise réputation et donc les marques de méfiance qu'on leur témoigne, dans un cycle interminable...

Pour s'acheter une respectabilité, les guerriers doivent avant tout gérer et tempérer la crainte qu'ils font naître: que ce soit par le rituel de la poignée de main (qui sert à l'origine à prouver qu'on est désarmé et qu'on se laisse symboliquement maîtriser en gage de bonnes intentions), celui des offrandes ou des émissaires (envoyer "en éclaireur" un ou deux "diplomates" pour faire ami-ami ou négocier pour le groupe est toujours plus facile et moins menaçant que de débarquer à 10, les armes en évidence, et évite les escarmouches involontaires), le dépôt des armes à l'entrée des villages et lieux publics (d'ailleurs obligatoire à l'entrée des grandes villes) ou leur dissimulation plus ou moins poussée, les "combattants privés" doivent avoir le souci de bien se conduire pour s'intégrer même temporairement à une quelconque communauté, tant ils souffrent en général d'un a priori défavorable (revoir "Les 7 Samouraïs" de Kurosawa ou son remake américain, relire "La Compagnie Noire" de Glenn Cook, les "Jérémiah" et "Les Tours de Bois-Maury" de Hermann,...).

 

Ceux qui combattent pour une quelconque autorité jouissent (ou pâtissent, ça dépend de l'autorité en question...) de la réputation de leur "Maître" ou de leur ordre. Cette forme particulière d'intégration tend bien sûr à identifier les guerriers à un comportement, des intentions et une conduite "repère", et par là-même rassurante: c'est ainsi que sont nées les règles de la Chevalerie, distinguant le Preux (et presque toujours "Pieux", la religion étant la base morale de la plupart des cultures) du Maraud ("maraudeur" quoi...) par de nombreuses caractéristiques. Le Chevalier est par nature noble (au sens social du terme: titre, généalogie et souvent un rang d'officier supérieur dans l'armée), il porte un écu frappé de ses armoiries (pour qu'on identifie son rang et son lieu d'origine, éventuellement son nom et donc sa réputation) et les symboles variés (cocarde, brassard, livrée, étendard,...) de son allégeance à un noble de plus haut rang (voir un roi ou un empereur), il adhère à un code d'honneur très stricte, monte un cheval (signe de richesse autant que de "supériorité"), met en avant son dévouement à la communauté, réalise quelques "haut-faits" et se fait éventuellement accompagner d'un ménestrel chantant ses exploits (ou d'un type frappant des noix de cocos, mais c'est plus rare)... Bref, il décore sa violence et l'autorité militaire qu'il représente de tout une mystique de la vaillance, de la force et de la rigueur morale qui le sépare de la masse grouillante de la piétaille sans foi ni loi et le range ostensiblement du côté du "bien". Evidemment, cela crée des devoirs et la chevalerie est une vie de contrainte bien plus que d'idéaux (ceci vaut plus encore pour les Samouraïs, distingués du simple ronin par le rattachement à un seigneur et le code du Bushi-Do).

Sans aller jusque là, les combattants peuvent au moins s'identifier à des symboles positifs par l'appartenance à une troupe bien considérée (c'est également un des rares moyens de s'assurer un emploie stable), unité d'élite, garde citadine ou suite d'un seigneur, rattachement à un ordre religieux (moines-guerriers, templiers plus ou moins mystiques) etc. , ou s'attacher à un organisme ou un personnage influent comme une guilde, un riche négociant, un Maître d'Arme reconnu,...

Même les troupes mercenaires tendent à s'organiser autour d'un "capitaine" célèbre en une "compagnie" possédant ses traditions, ses spécialités et, souvent, une même terre d'origine. C'est fréquemment le cas pour les artilleurs, et sapeurs dont l'usage encore inhabituel oblige à passer d'une armée à une autre.

Bien que la possession et le port d'armes soient en général réglementés (allant de l'interdiction pur et simple de posséder et donc de vendre des armes pour les populations "potentiellement rebelle" jusqu'à l'obligation d'en porter dans les villes assiégées), un certains nombre de personnes ont le privilège de pouvoir porter leurs armes dans les lieux publics: les Maître d'Armes, les miliciens de guilde et les gardes religieux (leur supérieurs étant alors responsable de leurs actes), les nobles et leur proches suivants, les forgerons (qui sont presque partout associés aux métiers des armes), les officiers militaires et fonctionnaires en mission (guet, garde, etc.), parfois les juges et bourreaux (même hors de leur office), les diplomates... Ce sont là des cas courants, mais la législation est soumise à bien des modifications suivants les circonstances.

 

Ces armes, justement, étant à la fois les "outils" et l'insigne des professions combattantes, sont par leur nature, leur état et leurs éventuels ornements très significatives d'un état d'esprit, d'une appartenance culturelle, d'une technique de combat et d'un rang social ou militaire. Au Moyen-Age, le métal coûte cher, il est difficile à travailler et les armes forgées de belle facture, damasquinée ou trempée sont à considérer comme du "matériel militaire de pointe" réservé à une certaine élite, les autres combattants se contentant en général d'armes où l'acier cède la place à des métaux de moindre qualité, plus sensibles à l'usure et aux chocs (la classique lame brisée en combat pouvant être assez courante) ou même d'outils améliorés: pique, haches, marteau, faux... Les "bonnes" armes ne se trouvent que chez les "bons" artisans, qui sont plus ou moins rares (et cher, encore une fois) suivant la densité de population et le développement technologique de l'une ou l'autre contrée, mais les forgerons de talents, ceux dont chaque arme est une oeuvre poinçonnée et baptisée, savent attirer jusqu'à eux les combattants suffisamment aisés.

Les couteaux et les arcs sont assez répandus, il est d'ailleurs courant qu'on organise des concours de tir pour maintenir un entraînement minimum à la défense des cités, mais là encore les armes "faites maison" le plus souvent en circulation sont de piètre facture. La dague, arme d'appoint et de parade, est également onéreuse et l'insigne d'une certaine aisance, voir une pièce d'apparat et de cour dont l'aspect guerrier cède à l'élégance. D'une manière générale, les bonnes armes se conservent, parfois de génération en génération et l'entretien du matériel est un souci permanent chez les combattants, les conséquences d'un matériel défectueux étant pour eux directes et définitives.

Leur ornement ne dépend pas uniquement d'un intérêt esthétique, mais parfois d'une nécessité d'identification sur un champ de bataille, d'une volonté d'effrayer l'adversaire ou de se mettre en valeur, est a parfois une fonction rituelle ou magique: les armes sont de tout temps des symboles de puissance et de virilité (relire les symboliques sexuelles et diaïrétiques définies par Gilbert Durand !), l'objet d'une mystique que les autorités militaires encouragent généralement pour des nécessités d'entretien et de "respect du matériel" (dans certaines garnisons calmes, il arrivaient trop souvent que les soldats bradent une partie de leur matériel pour améliorer leur ordinaire).

Enfin, le choix d'une spécialité d'armes dénote ou entraîne un certain style de combat et parfois une mentalité: l'arc enseigne les vertus de la retenu et de la précision, le corps à corps nécessite vivacité d'esprit et improvisation, les armes à deux mains demandent beaucoup de force mais aussi de la maîtrise et de l'anticipation (sinon, sa s'appelle "bourrin" et donc "peu viable à long terme"), les lames courtes nécessitent une coordination et une agilité de tout le corps, le combat monté une bonne compréhension de l'animal, etc.

De même, des styles très différents peuvent se révéler à partir d'un certain niveau technique (tous les débutants combattant plus ou moins de la même manière, mal !): très mobile, en esquive ou en charge; statique, défensif, se rapportant à des gardes techniques pré-établies; très épuré ou hyper-actif; combat de rue ou duel codifié...Tous ces styles dépendent non seulement de contraintes et choix techniques, mais également "idéologiques", suivant les objectifs et la conception du combat de chacun: on peut combattre pour tuer systématiquement, pour "mettre hors de combat", pour humilier, pour s'amuser (!), avec rage, dégoût, peur, plaisir ou ambition, de même qu'on peut penser le combat comme une approche de la mort, une rencontre, une expérience, une leçon, un problème, une horreur, une occasion de s'assouvir, de se mettre en valeur, de dominer ou de mourir... Le combat est souvent un acte et un moment extrême où se révèle la nature des combattants, de ceux qui les observent et de ceux qui les commandent: en cela, il est souvent associer à des enjeux mystiques ou métaphysiques (relire "La Condition Humaine" de Malraux et "Pour qui sonne le Glas" d'Hemingway) et il reste un thème philosophique et poétique intarissable.

Mais l'art de la guerre recouvre à la fois la connaissance des armes et la science tactique ou stratégique, et le grade et le type de combat pratiqué va influencer beaucoup la prédilection d'un guerrier pour l'un ou l'autre aspect. Très tôt dans l'antiquité, on se penche sur les aspects intellectuels du combat ("L'Art de la Guerre" de Sun Tzu) et on tente de coordonner efficacement les mêlées désordonnées que sont les combats de masses ou d'escarmouche; pour cela on spécialise généralement les combattants dans l'une ou l'autre orientation. A moins que les adversaires ne soient systématiquement des imbéciles, il est probable qu'ils aient eux-mêmes recours à un minimum de tactique de groupe et l'absence d'organisation ou l'individualisme forcené coûtent alors très cher... Aux combattants expérimentés d'attirer l'ennemi sur leur "terrain" et d'éviter de se retrouver dans un type de combat qui n'est pas le leur: les armes, boucliers et armures des cavaliers sont généralement d'une longueur et d'un poids qui s'avèrent très gênants sitôt qu'on est démonté, les archers ont tout à redouter de l'arrivée au corps à corps d'un adversaire, les fantassins dispersés sont à la merci d'une charge de cavalerie...

 

Ainsi, suivant leur culture d'origine, le statut des "guerriers" ira du rebelle pourchassé à la classe dirigeante d'une population en passant par le guet (à la fois défense "civile" des petites agglomérations et force de police), l'armée de métier ou les conscrits, une caste mystique...

Dans nombre de sociétés, les guerriers sont certes la caste dirigeante, mais également une puissance économique: il défendent et étendent le territoire du "clan" ou de la cité, rapporte par le pillage un revenu important et sont parfois, comme dans la Grèce antique, une source de "denrées" très particulières, les esclaves. Selon qu'ils seront une nécessité vitale (ville assiégée, guerre permanente, etc. ) et économique ou une menace/force de répression, il seront admirés ou haïs, mais presque toujours craint et "mythifiés": des rumeurs plus ou moins flatteuses cours à leur sujet, les gens chercheront toujours à les classer en ennemis ou amis, leurs signes distinctifs (blasons, étendards, "armoiries", armes de prédilections, livrée/uniforme, moyen de locomotion (chevaux, souvent...), accessoires, écussons, couleurs, bijoux,...) seront presque toujours liés à une autorité et à une histoire, et qu'on viennent les voir défiler ou qu'on les fuie sitôt aperçus, ils ne laissent pas indifférents.

 


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