Poursuivi par la Varamyne...

 

" Il y eut d'abord des cris... non, une sorte de chant lointain et strident, comme celui d'une effraie, mais infiniment plus triste. Au départ, je n'y fis pas attention. Ce fut ma première erreur... quelques minutes après que le chant eut cessé, je me suis senti soudain entouré par... quelque chose, une présence... tapie dans les ténèbres, tout autour de moi, dans la nuit. Cela bougeait sans jamais s'arrêter. Je ne voyais encore rien, mais je sentais chacun de ses déplacements.

Et puis il y eut ce frôlement ! je me suis senti effleuré par quelque chose, je ne pourrais pas très bien vous dire quoi au juste, peut-être de la fourrure, peut-être une peau très douce, mais il y avait cette sensation si agaçante en même temps... rien que d'y penser, je sens encore le frisson qui m'a couru le long du dos. Le chant a repris, plus lancinant encore, et plus proche aussi, comme si quelqu'un avait chanté juste derrière moi, à la lisière des fourrés. Je me disais que je n'avais pas peur, que ce n'était pas grave. Je pensais encore que ce n'était qu'une impression, un de ces tours que vous joue l'obscurité, le soir, quand il y a du vent et que les feuilles des arbres ondulent sur un rythme hypnotique. Mais ça n'a suffi à me rassurer, et, sans doute par instinct, par nervosité, j'ai accéléré mon pas. Ce fut ma deuxième erreur, car elle a vu que j'étais déjà sous son emprise, et elle a commencé à me suivre.

Tout d'un coup j'ai senti une présence encore plus proche, juste derrière moi. Elle s'est pressée contre mon corps, j'ai senti sa chaleur hideuse, et son souffle puissant dans mon cou. J'ai marché encore plus vite. Il y a eu une litanie de petits piaillements, comme des piaillements d'oiseaux, mais on y percevait une douceur cruelle et ironique. Puis, soudain, cette main qui a jailli de l'ombre sur ma gauche, nantie d'innombrables doigts crochus ! j'ai fait un bond de côté, les griffes ont claqué sur le vide. J'ai commencé à courir , mais je ne savais pas où j'allais, et je suis parti dans la mauvaise direction. Il y a eu d'autres cris, plus forts, encore plus stridents, et des mots sussurés à mon oreille, comme pour me dire "Viens avec moi, viens avec moi..." Je n'arriverai jamais à les oublier, ils sont encore cachés quelque part dans mes tympans et de temps en temps ils resurgissent, aussi vivants que si c'était hier. J'ai voulu courir plus vite, mais tout était si sombre autour de moi, je ne savais même plus si j'avançais encore ou si je m'étais arrêté.

Et soudain ce visage, devant moi, à quelque mètres, cette pâleur, cette rondeur d'enfant, ces trous noirs à la place des yeux et de la bouche... le halo qui irradiait de lui semblait de la vapeur, et l'expression figée sur sa face était celle de l'horreur la plus démente - j'ai crié tandis qu'il happait l'air et suffoquait à chaque instant. Ensuite, un second visage apparut, tout aussi rond et livide que le premier - sur celui-ci était peint une telle tristesse que, rien qu'à sa vue, j'ai failli fondre en larmes. Ce devait être lui qui chantait et ululait, pourtant, quand le chant a repris, ses lèvres n'ont pas bougé, et le son ne semblait pas s'exhaler de sa bouche noire. Puis le troisième - oh, sa troisième figure ! belle et ricanante, des yeux comme des puits de mépris et d'arrogance, et j'ai senti que ce n'était pas par les deux autres paires d'yeux, mais par celle-ci qu'elle me voyait et m'observait. Un voile est passé sur mon visage, un vertige m'a pris, le chant s'est élevé à nouveau, plus fort, plus fort, toujours plus fort ! jusqu'à pénétrer dans ma tête et y répandre une migraine insupportable - j'ai ouvert la bouche pour crier, mais je n'ai pas entendu mon hurlement - c'est le sien qui est sorti à sa place. Ses ricanements m'encerclaient, les trois visages me poursuivaient, flottant dans la nuit - se rapprochant, s'éloignant, puis se rapprochant de nouveau. Ma vue s'est troublée, les chants et les cris se fondirent dans un chaos indescriptible de sensations lancinantes, ma peur a éclaté dans mon crâne.

Comment j'ai pu m'en sortir, je ne sais pas encore. Je crois qu'elle a voulu m'emporter. Au sein du vertige, la voix était de nouveau là - viens, viens - j'ai refusé de céder à ses avances, j'ai voulu courir encore, mais elle m'en a empêché en m'entourant de sa présence odieuse - viens, viens encore -j'ai lutté de toutes mes forces, mais je ne sentais pas bouger mes membres pour courir, je voulais courir, mais je ne sentais même plus le sol sous mes pieds - viens, viens, viens ! il me semble que j'ai aperçu une lumière au moment où j'allais renoncer, la lumière du village, et j'ai réussi à avancer jusqu'à échapper à son emprise. Par instants, je sens encore sa présence autour de moi, et la peur m'envahit de nouveau. Je vous en prie, docteur, ayez pitié, protégez-moi ! jurez-moi qu'elle ne reviendra plus me chercher !"

- témoignage d'un malheureux retrouvé à demi-fou au petit matin, près d'un village hisconte

 


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