[Poème dont je ne dirai pas le titre]

 

Paul Eluard a écrit ce poème en novembre 1936, alors que les colonnes de Franco progressent vers Madrid, précédées de copieux bombardements, et que les combats font rage entre les franquistes et les républicains, qui leur opposent une résistance acharnée, défendant la ville pied à pied. Ce poème est le premier poème véritablement politique d'Eluard. Mais au-delà de son caractère "engagé" dans des circonstances historiques précises, il possède un caractère universel, qui en fait un refus de tout fascisme, et aussi de tout impérialisme quels qu'ils soient.

Je précise que l'oeuvre d'Eluard n'est pas encore "tombée" dans le domaine public, et que je n'ai pas le droit de le reproduire dans son intégralité. J'ai donc supprimé le titre (la mention entre crochets ci-dessus n'est évidemment pas le titre véritable).

 

Regardez travailler les bâtisseurs de ruines

Ils sont riches patients ordonnés noirs et bêtes

Mais ils font de leur mieux pour être seuls sur terre

Ils sont au bord de l'homme et le comblent d'ordures

Ils plient au ras du sol des palais sans cervelle.

*

On s'habitue à tout

Sauf à ces oiseaux de plomb

Sauf à leur haine de ce qui brille

Sauf à leur céder la place.

*

Parlez du ciel le ciel se vide

L'automne nous importe peu

Nos maîtres ont tapé du pied

Nous avons oublié l'automne

Et nous oublierons nos maîtres.

*

Ville en baisse océan fait d'une goutte d'eau sauvée

D'un seul diamant cultivé au grand jour

Madrid ville habituelle à ceux qui ont souffert

De cet épouvantable bien qui nie être en exemple

Qui ont souffert

De la misère indispensable à l'éclat de ce bien.

*

Que la bouche remonte vers sa vérité

Souffle rare sourire comme une chaîne brisée

Que l'homme délivré de son passé absurde

Dresse devant son frère un visage semblable

 

Et donne à la raison des ailes vagabondes.

 

 

- Paul Eluard