"Les enfants de la pluie"

 

Film de Philippe Leclerc ; dessins de Philippe Caza ; musique de Didier Lockwood ; produit par Marin Karmitz ; scénario de Philippe Caza et Laurent Turner, librement inspiré du roman de Serge Brussolo, " A l'image du dragon ". Sorti le 25 juin 2003.

Site officiel des "Enfants de la pluie" : http://www.mk2.com/enfants/index.html

Site de Philippe Caza : http://www.noosfere.org/caza/

Parmi les trois longs-métrages d'animation européens sortis en ce début d'été, " Les enfants de la pluie " est sans doute le plus prometteur pour l'animation en dehors de Disney ou du studio Ghibli. Il représente en effet un triple succès. D'abord, il affirme un nouveau style graphique, qui s'inspire à la fois de Disney et des anime japonais comme ceux de Miyazaki, mais ne tient ni de l'un ni de l'autre et possède une identité propre. Ensuite, il revivifie le scénario, qui vise le classique universel sans le confondre avec le simplisme, et les personnages, qui n'ont rien à voir avec les gentils mièvres et les méchants pâles des mauvais Disney. Enfin, il redonne leur dignité aux littératures de l'imaginaire : habilement inspiré d'un roman de Serge Brussolo extrêmement sombre, il montre que ce n'est pas parce qu'on évolue dans un monde imaginaire que tout se change en aimable rêvasserie sans intérêt et sans lien avec le monde réel.

" Les enfants de la pluie " raconte l'aventure de Skän le Pyross et de Kallisto l'Hydross. Les Pyross, adorateurs du feu et de la lumière, vivent dans la cité troglodyte d'Orfalaise ; à la saison des pluies, ils s'y protègent des dragons venus du pays des Hydross, et de l'eau de pluie, car le contact d'une simple goutte suffit à leur causer de douloureuses brûlures. Les Hydross, qui habitent la cité d'Amphibole de l'autre côté du désert, sont les adorateurs de l'eau, et c'est le feu qu'ils ne peuvent supporter. A la saison sèche, les Hydross sont changés en statues de pierre, et seul le contact de l'eau peut les délivrer. Le monde entier est ainsi partagé en deux éléments contraires, eau et feu, à cause du Voleur d'Âme, qui, des siècles auparavant, a tranché en deux le grand Dragon cosmique. On dit que lorsqu'un Pyross et un Hydross s'aimeront d'un amour impossible, l'harmonie sera enfin retrouvée, et l'on pourra boire les rayons du soleil... Un jour, Skän, devenu écuyer d'un chevalier Pyross, parvient jusqu'à Amphibole, et aperçoit une jeune Hydross, Kallisto…

Sur l'écran

Ce qui frappe tout d'abord lorsqu'on regarde " Les enfants de la pluie ", c'est la beauté des images et le travail très soigné des formes et des couleurs. Le graphisme des personnages n'est pas tant réaliste que signifiant : les Pyross ont des traits anguleux, leur peau est rouge ; Orfalaise est un complexe réseau de grottes parcouru de rivières de lave ; le feu, les cendres, la lumière, sont constamment présents dans leur univers graphique. Les Hydross ont la peau turquoise, leurs traits sont arrondis ; la cité d'Amphibole présente une architecture qui rappelle un peu Venise ; ses nombreuses lignes courbes sont empruntées à l'Art nouveau ; les motifs aquatiques y sont récurrents. Le jeu de couleurs qui en résulte est extrêmement agréable. Outre le grand souci prêté aux détails de ce graphisme partagé en deux, comme l'est l'univers décrit, les nuances de couleurs sont elles aussi très fines. Comme dans les anime de Miyazaki, des décors et des paysages somptueux répondent au graphisme épuré des personnages. Cela donne lieu à de très belles images.

L'animation tient le juste milieu entre l'abondance de mouvements parfois excessive que l'on trouve chez Disney, et la grande économie qu'en font les anime japonais. Si les gestes restent fluides et bien rendus, des plans presques fixes s'y intercalent régulièrement, mettant en valeur un regard, une attitude, sans appauvrir l'ensemble.

Le scénario

Le scénario, maintenant. Lui aussi sait faire preuve de mesure, et cela dans tous les domaines. L'intrigue est bien menée, " bien ficelée ".

Des fondements classiques

Tout part pourtant d'éléments classiques. Deux partis qui s'opposent et un couple d'amoureux issus chacun d'un de ces partis, cela rappelle immanquablement Roméo et Juliette ; ledit amour annoncé par une prophétie, ficelle très couramment utilisée de nos jours dans les jeux vidéos/les jeux de rôles/les productions à gros budget mais dont l'imagination est moins riche. Le tout transposé dans un univers qui, première bonne surprise, est difficilement catégorisable, car s'il tient d'abord de la fantasy (épées, dragons et chevaliers, bestiaire fantastique comprenant les Brontos, les Diplos, les Klütz, les Gulines, pierres de lumière, grand prêtre du feu, pétrifications des Hydross), certains éléments rappellent la SF, à commencer par les dragons, dont l'allure évoque autant la créature extra-terrestre que l'animal mythologique (le dragon principal de l'histoire n'est-il pas le grand Dragon cosmique ?).

D'autres éléments classiques sont utilisés : le dragon-fée qui accompagne Kallisto, c'est-à-dire la petite bestiole de compagnie, vecteur d'humour que Disney nous a appris à connaître, et parfois à détester ; les plaisanteries des héros jeunes et du second rôle (en l'occurrence Tob, l'ami de Skän) ; un personnage secondaire un peu fêlé (ici un Hydross nommé Trinitro) ; Rodos, le père de Skän, mystérieusement disparu pour avoir fait une découverte tout aussi mystérieuse ; sans parler des habituelles histoires de familles entre personnages, puisque le grand méchant se révèle le meurtrier du père en question.

L'originalité des " Enfants de la pluie " pourrait ne tenir qu'à un joyeux mélange entre des éléments moyenâgeux et des références mythologiques (le père de Kallisto s'appelle Solon…), assortis de quelques bonnes ficelles scénaristiques.

Il y aurait donc de quoi avoir des appréhensions… et pourtant, tout fonctionne très bien. Comment cela peut-il fonctionner ? Ça fonctionne grâce à la grande cohérence de l'univers et de l'intrigue : les ingrédients de départ sont parfaitement intégrés à l'univers, qui acquiert une autonomie et une vie propres.

Un univers riche et cohérent

De nombreux détails développent les spécificités des Pyross et des Hydross, et contribuent à faire entrer le spectateur dans leur univers. On a vu comment le graphisme des personnages est partagé en deux ; cette différenciation se retrouve dans la musique : percussions, chants de guerre et sonorités orientales pour les Pyross, mélodies plus douces et fluides pour les Hydross. La vie quotidienne des deux peuples est rendue plausible par les détails de leurs habitations : les grottes d'Orfalaise sont protégées de la pluie par des volets que l'on peut fermer hermétiquement, et leurs galeries contiennent de nombreux feux pour tous les usages ; dans les maisons des Hydross, au contraire, sont aménagés des impluvium et des bassins où ils se baignent. Même richesse de détails concernant les vêtements et les objets manufacturés des deux peuples : motifs anguleux chez les Pyross, perles et bracelets ronds chez les Hydross. Les Hydross ont des " cheveux " rassemblés en grandes mèches souples. L'un d'eux porte un animal marin en guise de coiffure. Les Pyross ont sur la tête une petite crête en cartilage ; ils ne pleurent jamais, mais leurs paupières changent de couleur lorsqu'ils sont tristes.

Le langage courant contient beaucoup d'expressions idiomatiques qui montrent l'ancrage de la divison feu/eau dans les mentalités : par exemple, un Pyross dit de quelqu'un " il a pris l'eau " pour " il est devenu fou ". La pluie est la " mort-pluie ". Les locutions familières et les insultes suivent la même logique et se rapportent au bestiaire local : " tête de Klütz " équivaudrait à " tête de mule " ; à un moment donné, le grand prêtre du feu, Razza, traite ses ennemis de " têtards ", etc. De telles expressions peuvent agacer si l'on ne fait pas preuve d'un peu de bonne volonté pour entrer dans cet univers ; mais si l'on fait ce léger effort, elles se révèlent efficaces et contribuent beaucoup à lui donner de l'épaisseur.

La richesse de l'univers ne fait pas tout, mais renforce considérablement l'enjeu de l'aventure de Skän : la division entre feu et eau n'est pas qu'une symbolique facile, elle imprègne l'univers dans le moindre détail, comme on l'a vu, et agit fortement sur les mentalités. A un moment donné, Skän est contraint d'utiliser une sorte de jerrycane pour verser de l'eau sur des statues d'Hydross, goutte à goutte. Rien qu'à faire cela, il tremble de peur ; " Cela t'amuse de me voir manipuler de la mort en bouteille ? " dit-il rageusement au chevalier qui lui en a donné l'ordre. Tout l'enjeu de l'aventure consiste alors à dépasser cette division qui partage littéralement le monde en deux, pour reconstituer l'harmonie perdue. La cohérence de l'univers sert celle du scénario ; l'un et l'autre en deviennent inséparables, premier signe d'une œuvre réussie.

La qualité du scénario réside donc d'abord dans l'habileté grâce à laquelle la description du monde et sa structure coïncident avec la narration de l'histoire qui amène au bouleversement de cette structure.

Une intrigue équilibrée et bien conçue

Le dessin animé commence par la cosmogonie de l'univers : le grand Dragon cosmique a été tranché en deux par le Voleur d'Âme, engendrant le partage du monde entre deux éléments contraires, eau et feu. Cette genèse racontée par la voix d'un narrateur situe immédiatement l'intrigue dans le registre de la légende, du mythe. La prophétie annonçant le rétablissement de l'harmonie cosmique grâce à l'amour impossible entre un Pyross et un Hydross est introduite plus tard, lors d'une discussion entre Skän et ses amis, mais encore à titre de simple conte sans vérité réelle. C'est plus tard encore que la jonction est faite entre la cosmogonie et cette prophétie, lorsque Skän, dans la maison de Kallisto, entend Solon, le père de celle-ci, raconter la légende dans son ensemble, avec la même voix que celle du narrateur du début... Les deux éléments du monde, structure et évolution, se sont enfin rassemblés, mais seulement lorsqu'a eu lieu le premier véritable contact pacifique entre Hydross et Pyross susceptible d'influencer l'ensemble des deux peuples. Dès lors, la prophétie ne peut que s'accomplir.

L'évolution de Skän est tout aussi bien montrée.Un premier moment du dessin animé le montre enfant, en compagnie de sa sœur et de son ami, tous gais et relativement insouciants, prompts à la plaisanterie. L'univers, les personnages et les premiers enjeux sont introduits là. L'univers divisé en deux, les six meilleurs chevaliers Pyross partant chaque année à la saison sèche pour combattre les Hydross et ramener les pierres de lumière vitales pour les Pyross, le grand prêtre Razza menant son peuple et encourageant les chevaliers, les dragons et les Hydross haïssables autant que la mort-pluie… même le fait que les écuyers ne reviennent jamais de la guerre s'explique facilement, par l'âpreté probable des combats… Pourtant, tout est trop simple. La véritable éducation de Skän se fait douloureusement, car elle coïncide avec la disparition de ses parents : sa mère, Béryl, se révolte soudain contre Razza et ses partisans, ce qui lui vaut la prison et bientôt la mort. Elle explique les raisons de son acte à Skän, qui découvre en même temps qui était son père, disparu longtemps auparavant et qu'il n'a jamais connu : Rodos, le meilleur de tous les chevaliers, est revenu entièrement changé de la guerre contre les Hydross, il s'est opposé à Razza et il en est mort. Il avait découvert quelque chose qu'il n'a voulu révéler à personne. Le rêve d'enfant de Skän - devenir chevalier comme son père - se change en nécessité : il lui faut découvrir la véritable nature des Hydross et de la guerre que mènent contre eux les chevaliers, mais aussi se protéger de la haine de Razza, qu'il s'est attirée en tant que fils d'une famille rebelle à l'ordre et aux vérités établis.

Un saut dans la temps de quatre années, fort bien utilisé par le scénario, nous mène à la mort de la mère de Skän, qui renforce l'enjeu de sa future quête ; désormais orphelin, celui-ci se prépare à partir peu après, comme écuyer d'un chevalier qui n'est autre que le fils de Razza, Akkar. Skän peut compter sur l'aide de son ami, devenu lui aussi écuyer ; mais il se trouve relativement isolé tout de même : il n'a plus de parents et l'amour entre sa sœur et son ami l'éloigne un peu d'elle. Tout le pousse donc à partir pour Amphibole.

Et c'est ici que les clichés qui pouvaient effrayer le spectateur a priori volent en éclats, car les découvertes successives de Skän n'ont rien à voir avec le schéma classique de l'heroic fantasy. La guerre entre Hydross et Pyross est tout sauf une guerre héroïque. L'unique bataille que mènent les chevaliers consiste à faire exploser les Hydross à coup de bombes à plasma lorsque ceux-ci sont pétrifiés pendant la saison sèche, immobilisés et sans défense. On est loin des grandes batailles rangées et des prouesses des chevaliers habituels… D'autre part, les premiers " Hydross " que rencontre Skän ne sont autre que des renégats Pyross qui, pour des raisons encore obscures, veulent empêcher les chevaliers de mener à bien leur lugubre tâche. Une scène magnifique est celle où Skän pénètre dans Amphibole et découvre les Hydross statufiés, mêlés à des statues de pierre qu'ils sculptent pour être confondus avec elles par les Pyross. Une ville déserte, à l'architecture splendide, uniquement peuplée de statues figées dans des poses élégantes, des instruments de musique à la main… Dès lors, le plus difficile est accompli : le désert physique qui sépare Orfalaise d'Amphibole a été franchi, mais en même temps, ce sont les fausses certitudes de Skän sur les Hydross qui ont été dépassées. Dès lors qu'elles sont remises en cause, Skän est libéré de la mentalité traditionnelle des Pyross ; lorsqu'il aperçoit la statue de Kallisto, il ne voit que sa beauté et agit seulement en fonction de cette beauté. Pour cela, il a dû sortir des vérités établies et traverser le désert, traversée qui équivaut à faire table rase de son savoir. Aussi bien est-il aidé par une attitude ouverte qui fait partie de son caractère : " aussi innocent qu'un Klütz qui sort de l'œuf " dira de lui un renégat Pyross…

Profondeur de sens et sens de la mesure

On pourrait poursuivre une analyse du scénario plus poussée, mais cela nécessiterait de révéler la fin de l'histoire, ce que je ne ferai pas, pour ne pas gâcher le plaisir de ceux qui n'ont pas encore vu le dessin animé... Je m'arrêterai donc là, mais on peut voir que le scénario des " Enfants de la pluie " présente deux caractéristiques complémentaires. D'une part, il utilise la structure relativement simple du mythe, dont il possède aussi la profondeur de sens, et constitue ainsi une intrigue aussi intéressante au premier degré que quand on y cherche un deuxième sens. D'autre part, il ne doit rien aux clichés de la fantasy : le rêve d'héroïsme de Skän enfant se révèle une illusion lorsqu'il se rend compte de la véritable guerre menée par les chevaliers. La réalité est plus complexe que cela. Le statut de leader de Razza, de même que le rôle des " prestigieux " chevaliers et le déroulement " héroïque " de la guerre se trouvent de plus en plus remis en cause (la population rechignant à envoyer ses meilleurs jeunes gens comme écuyers, sachant qu'ils ne reviendront jamais), et avec eux, l'ordre même de la société Pyross. Deux issues sont alors possibles : l'anéantissement, représenté par le fanatisme de Razza, ou un nouvel ordre, celui de l'harmonie retrouvée, espoir incarné par le couple Skän-Kallisto.

Le scénario tient d'autant mieux la route et les enjeux sont d'autant plus crédibles que les " méchants " du film sont eux aussi une réussite. Pas de méchant pâle, inconsistant ou risible comme dans plusieurs Disney et de nombreux films actuels. Dès la première scène, la cruauté des chevaliers est mise en évidence (par le supplice d'un écuyer condamné à être brûlé par la mort-pluie), et elle est rappelée à plusieurs reprises. Razza et son fils sont deux calculateurs aussi habiles à manigancer des fourberies qu'à manier l'épée. Ils disposent de serviteurs à leurs ordres, mais ne se reposent pas sur eux et agissent souvent par eux-mêmes (contrairement à plusieurs méchants caricaturaux qui se contentent d'envoyer leurs satellites au casse-pipe et de proférer " encore raté ! "). De plus, et cela vaut surtout pour Razza, ils gagnent en dangerosité au fur et à mesure que l'intrigue avance et que Skän, Kallisto, Tob et Djuba, de leur côté, gagnent en maturité.

L'humour est présent pendant tout le film, mais de manière suffisamment discrète pour ne pas l'envahir et gêner l'intrigue (là encore, la différence avec Disney est très nette). Les fréquentes plaisanteries de Skän et Tob pendant les premières minutes peuvent agacer le spectateur, d'autant qu'elles ne sont pas très fines, mais il cet humour sert l'intrigue, dans la mesure où il permet de décrire l'insouciance des héros et met en valeur l'évolution qu'ils accomplissent par la suite. Au fil des épreuves qu'ils traversent, garder le sens de l'humour devient nettement plus difficile… Quant au dragon-fée de Kallisto, il reste très discret lui aussi et apporte une touche d'humour bienvenue car pas excessive.

J'ai déjà parlé de la poésie qui se dégage de nombreuses images des " Enfants de la pluie " ; cette poésie est également présente dans plusieurs scènes : la découverte d'Amphibole, la tristesse de Skän et Kallisto séparés jouant de la musique… tout dépend de la façon dont le spectateur entre dans cet univers et l'accepte. En outre, et ce n'est pas sans importance, les sentiments et les caractères des personnages sont décrits sans lourdeur et parfois même avec finesse : ainsi de l'amour entre Djuba et Tob, entre Skän et Kallisto. Même le fanatisme de Razza trouve une justification logique avec le rebondissement final. Seuls les Hydross ont des personnalités trop monolithiques : on a du mal à croire à leur gaieté insouciante après avoir vu la façon dont ils sont décimés chaque année par les chevaliers Pyross…

Il y a, à mon avis, trois stades d'avancement pour une fiction de ce genre. Le premier est celui de la simplicité stupide, qui charrie les clichés, les lieux communs, les intrigues et les personnages convenus, dans une mixture incohérente et pitoyable, sans aller plus loin. Le second est celui de la complexité acharnée ; il consiste à chercher autant que possible à dépasser les clichés et à donner à un univers une existence propre, à ne pas le laisser à l'état de simple schéma préconçu. Le troisième stade, le meilleur, est celui de la simplicité géniale, celle des véritable mythes, des contes et des légendes ; à ce stade, la fiction est simple en apparence, mais possède une épaisseur de sens impressionnante. Le problème est alors de ne pas confondre le premier et le dernier stade, car les archétypes et les clichés du premier se nourrissent des éléments de la structure du troisième, sans malheureusement en posséder la profondeur de sens. Il ne faudrait pas s'y tromper : " Les enfants de la pluie " n'en est pas au premier stade, ni au deuxième ; il cumule le deuxième, un univers richement développé et original, avec le troisième, une structure cohérente et une profondeur de sens qui lui donnent une portée universelle.

Argh, dira-t-on : une portée universelle ! Ne risque-t-on pas de subir de grands discours moralisants, lénifiants, ou des symboles assenés avec de gros sabots ? Du tout, car là encore, " Les enfants de la pluie " se distingue par son sens de la mesure. S'il est facile de voir que le dessin animé aborde les thèmes de la tolérance face à la différence, des apparences qu'il faut dépasser, du fanatisme religieux, rien n'est trop saillant, et il est possible de regarder tout au premier degré si on préfère le regarder comme ça. L'unique allusion pesante est l'expression de " solution finale " rapportée du discours de Razza quand celui-ci est devenu complètement fanatique et est emporté par son délire eschatologique. On peut honnêtement juger qu'employer une telle expression, qui se réfère directement à celle des nazis pour désigner l'extermination systématique des Juifs, est excessif et maladroit. Mais c'est bien l'unique moment où l'on peut se poser la question.

Conclusion

A côté d'autres dessins animés " à grand spectacle ", tels qu' " Atlantide " ou " La planète au trésor " de Disney, par exemple, et d'anime poétiques tels que " Le voyage de Chihiro ", " Les enfants de la pluie " tient parfaitement la route. L'univers est d'une grande cohérence, il se prête très bien à une grande profondeur de sens, sans tourner à l'allégorie. Le scénario est équilibré et bien mené, les personnages évoluent constamment, et la fin du film, avec son lot de rebondissements, est tout sauf tirée par les cheveux ou incompréhensible, comme c'est le cas pour beaucoup d'autres. Une véritable poésie est présente dans les images et dans certaines scènes. Ce dessin animé n'a donc rien à envier à ses prédécesseurs et éventuels concurrents ; bien mieux, il montre qu'il est tout à fait possible d'inventer des styles, de créer un nouveau genre d'animation de qualité qui puisse non tant concurrencer que compléter les autres et enrichir l'ensemble.

Tybalt, 2-20 juillet 2003

 


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