Les Hiscontes étaient à l'origine des nomades. Regroupés en tribus, ils parcouraient Fantasia en une gigantesque caravane comprenant une centaine de véhicules et environ mille cinq cents personnes.

La caravane n'était rien d'autre qu'une longue colonne de véhicules de toutes sortes, parfois automobiles, parfois tirés par des animaux, parfois même tirés par des hommes, parfois volant, parfois rampant, parfois munis de roues, parfois montés sur les créatures qui les portaient ; bref, c'était un joyeux mélange de tout ce qui se fabrique et qui peut se déplacer. Les nomades habitaient dans leurs véhicules ; chaque véhicule représentait une maison, où pouvaient loger jusqu'à quinze ou vingt personnes au maximum, une dizaine en moyenne, et deux ou trois seulement pour les plus petits engins.

La Caravane parcourait Fantasia dans le but de trouver un pays suffisamment stable et ordonné pour s'y arrêter - une terre promise, en quelque sorte. Cette quête, les nomades l'appelaient le Voyage. En attendant ce moment, les futurs hiscontes tentaient de se protéger comme ils pouvaient des multiples incidents dûs aux manifestations du Nonsense : attaques de créatures féroces, changements de terrain subits, boules de feu, inondations, maladies étranges, et que d'autres choses encore ! A cette époque, on n'avait pas la vie facile. Un nomade ne pouvait espérer vivre qu'une quarantaine d'années, juste le temps de grandir entre les famines et les épidémies, d'apprendre à se débrouiller comme on pouvait, de faire trois ou quatre enfants, de commencer à les élever, avant de les laisser orphelins en bas âge lorsqu'un accident mortel finissait par survenir... cependant, la vie pouvait s'améliorer ou au contraire devenir plus impitoyable encore, selon la stabilité des contrées dans lesquelles on passait. Les morts étaient remplacés rapidement par les diverses personnes que les nomades recueillaient sur leur passage : fantasiens égarés ou perdus par leurs compagnons au cours d'un voyage ; malheureux arrivés sur Fantasia sans savoir comment à cause d'un sortilège raté ou lancé à mauvais escient par un enchanteur maléfique ; mages rendus à moitié fous par on-ne-sait quelle vision démente ; rescapés d'une catastrophe incompréhensible cherchant un endroit où s'abriter... les candidats au Voyage ne manquaient pas ; ils étaient de toutes les races, de toutes les origines, de toutes les cultures. On les accueillait en leur donnant à boire et à manger, ainsi qu'un coin de vie dans un des engins de la caravane. Tous maudissaient et craignaient en même temps la force qui était à l'origine de leurs malheurs. Nonsense, tel fut le nom qui la désigna, et porta bientôt la responsabilité de bien des tragédies... on savait qu'il n'existait pas de force semblable dans les autres mondes, d'après les dires de ceux qui rejoignaient la caravane.

Au cours de leur périple, les nomades traversèrent bien des pays, vécurent de nombreuses aventures, manquèrent bien souvent être totalement décimés par leurs conditions de vie infernales. C'est durant cette pré-histoire de l'Hiscontie que naquirent de nombreux récits et de nombreuses légendes qui font encore aujourd'hui la joie des petits enfants. C'est aussi à ce moment que les nomades renoncèrent à toute religion d'un commun accord, effarés par l'absurdité du monde dans lequel ils vivaient.

Lorsqu'enfin la Caravane parvint en Hiscontie, les fantasiens qui la suivaient eurent droit au repos et au soulagement. Ils pourraient vivre et élever leurs enfants sans craindre la mort chaque jour. Ils pourraient édifier des maisons, fonder des foyers immobiles, y vivre sans plus se déplacer, et ne plus voir l'horizon menaçant défiler derrière leurs fenêtres sans vitres... ils pourraient vivre en sédentaires. Ils construiraient des Palais à la sueur de leurs mains et de leurs corps. Ils les rendraient si beaux, si magnifiques, que leur splendeur éclipserait leurs malheurs passés... désormais, ils ne seraient plus des sans-pays. Ils seraient des Hiscontes.

Cependant, certains d'entre les Nomades préférèrent poursuivre ce mode de vie rendu plus facile par la relative tranquillité du pays qu'ils avaient découvert. Ces Nomades parcourent toujours de nos jours les Steppes de l'Est. Les Hiscontes sédentaires ont aujourd'hui oublié leurs terribles origines. Ils n'ont plus la mémoire de la Caravane, ni de son parcours sanglant fouetté par le Nonsense. Ils ont effacé leur pré-histoire, oublieux de tant de peine et de folie. La plupart d'entre eux ne veulent plus se déplacer, ni même explorer les pays avoisinants. Ils considèrent même les Nomades d'aujourd'hui comme des hommes étranges, qu'il vaut mieux éviter. Malgré cela, les Nomade sont seuls à perpétuer la Tradition, telle que ceux de la Caravane la vécurent pendant un millier d'années de quête.

Pourtant, la menace rôde encore, quelque part au-delà des frontières. Le Nonsense pourrait bien avoir raison de l'Hiscontie, si un beau jour le Désert des Transplans la recouvrait sous ses dunes mortelles. Adieu paix et tranquillité ! les Hiscontes seraient de nouveau jetés sur les chemins du monde, et dès lors, leur avenir serait ailleurs.

Qu'adviendrait-il alors de ce peuple abandonné ? "Le Nonsense le sait", dit le proverbe... seuls les érudits, les mages et les rois seraient en mesure de décider du destin des hiscontes.

Du moins, s'ils en ont le pouvoir...