Précisions anarchiques : érudits, sciences et croyances religieuses en Hiscontie

 

Le texte qui suit est extrait d'un mail au Baron Von Rawt datant d'août 2003. Il me proposait une idée de métier hisconte, un "Prêcheur à gages" gagnant sa vie en répondant aux questions métaphysiques des Hiscontes des milieux populaires. J'ai refusé l'idée en expliquant que ce rôle était déjà rempli par plusieurs autres professions, ce qui m'a donné l'occasion de développer divers points concernant les érudits, les sciences, les religions - ou plutôt les croyances et les légendes - et plus généralement sur la façon dont les Hiscontes s'expliquent le monde. Ce n'est donc pas un texte de background en bonne et due forme, mais il donne beaucoup de précisions qui pourront être fort utiles au Chroniqueur...

La religion en Hiscontie : pas de grandes religions, pas d'Eglises, pas de religion d'Etat, mais des croyances multiples avec l'Absurde au centre

Je n'ai jamais pensé à une religion organisée, à une Eglise "officielle" pour l'Hiscontie, c'est vrai, et pour être franc, je suis resté assez longtemps sans m'occuper de la question de la religion... J'y ai tout de même réfléchi, et je pense qu'il existe bien une religion hisconte, mais qui répond à une mentalité complètement différente de nos religions-modèles de base, la chrétienne, la juive et la musulmane. Je pense à un "sentiment religieux" beaucoup plus diffus et imbriqué dans la vie quotidienne, à la façon de ce que j'ai eu l'occasion d'étudier cette année à propos de la religion des anciens Grecs. Mais c'est un état d'esprit très difficile à comprendre en profondeur, qui est loin de se résumer à quelques dieux et à des cérémonies sacrificielles... je reste donc très prudent à propos des détails. En gros, il n'y a pas de clergé équivalent à une véritable Eglise, ni panthéon de divinités fixées. C'est plutôt une multitude de cultes locaux, à la limite entre la divinité et le génie ou lutin des croyances moyenâgeuses. Le Nonsense y tient évidemment une place capitale ; il est désigné sous plusieurs identités différentes, incarnant ses différents aspects (le Nonsense facétieux, le Nonsense franchement maléfique, le Nonsense facteur de désordre, le Nonsense-Providence "il y a une justice quelque part"...) et parfois équivalent au Diable (voire à Woland dans "Le Maître et Marguerite" de Boulgakov).

Les érudits - les sciences hiscontes - les écoles de pensée - cabinets d'érudits des villes et des campagnes

La résolution des problèmes philosophiques que se posent les hiscontes se fait de deux façons : soit par la "science" hisconte (complexe mélange de "vraie" science, d'alchimie, de philosophie et de magie...), soit par la religion.

Côté "scientifique", ce sont les érudits et les savants qui répondent aux questions et résolvent les problèmes (cf l'archétype de l'Erudit hisconte). J'évoque déjà les "cabinets d'érudits" dans la partie de l'Atlas consacrée à l'Hiscontie. Il me reste à détailler l'Université et les différentes écoles de pensée des érudits hiscontes. Car il n'y a que peu de points sur lesquels tous les savants s'accordent parfaitement en Hiscontie : nous sommes plutôt en présence d'une multitude de doctrines différentes, défendues par un "maître" qui en est le fondateur ou par des groupes de savants, lesquelles doctrines gagnent ou perdent en influence avec le temps et selon la progression des "disputes" entre érudits, qui correspondent à l'éristique moyenâgeuse.

Quant à cette multitude d'écoles de pensée, elle est plus proche des premières philosophies antiques (par exemple les pré-socratiques : Héraclite, Empédocle, Thalès, Pythagore) où plein de gens défendaient leur système, tous les systèmes contenant un peu de vérité et beaucoup d'extrapolations hasardeuses. Sauf que dans le cas de l'Hiscontie, l'existence de la magie et (surtout ?) du Nonsense a durablement brouillé les cartes et empêché l'émergence d'une science sûre, stable, efficace et rigoureuse... En Hiscontie comme dans l'Antiquité (et même après) les différentes sciences : philosophie, physique, psychologie, mathématiques, sciences naturelles, etc., ne sont pas (encore) clairement distinguées les unes des autres : un "maître" élabore généralement un système qui englobe une physique, une métaphysique, des mathématiques, et même de la théorie magique (en Hiscontie uniquement...) avec, bien entendu, une explication du Nonsense et de la façon dont il faut le prendre en compte et y réagir. Tout érudit hisconte adhère à une de ces doctrines, même s'il est fréquent d'être d'accord sur tel point avec telle doctrine et avec telle autre sur tel autre point. Les érudits suivent d'ailleurs un cheminement intellectuel qui les amène la plupart du temps à changer de doctrine au cours de leur "carrière" (voire à élaborer leur propre doctrine de façon plus ou moins achevée).

Mais, me diras-tu, tout ça ne s'adresse pas aux Hiscontes moyens non instruits ou mal instruits, aux citadins, aux paysans... en effet. Mais cette fonction est aussi remplie en partie par les cabinets d'érudits : ils existent dans toutes les villes et tous les villages hiscontes, avec des variations considérables dans les compétences et l'étendue du savoir des érudits en question, les questions posées, les méthodes employées pour y répondre, et les prix des consultations. Dans les grandes villes, les érudits sont extrêmement savants ; ils ont des bibliothèques personnelles très riches, se comptant en milliers de volumes, sans compter qu'ils ont accès aux bibliothèques des Universités, à celle de l'Institut Pyramidal, aux Cinq Tours (enfin, aux quatre qui ne sont pas secrètes...) et à celle du Palais royal pour les plus favorisés ; ils peuvent passer des semaines, voire des mois à répondre à une question précise ou épineuse posée par n'importe quelle personne, pourvue qu'elle ait les moyens de payer (évidemment, la "n'importe quelle personne" se réduit généralement à : des nobles, des barons, des fonctionnaires royaux, de riches marchands, commerçants ou artisans, tous riches, cultivés et mécènes pour certains). Dans les plus petits villages, pour prendre l'autre extrême, il n'y a qu'un érudit, qui joue le même rôle que l'instituteur, le curé ou le pharmacien dans les provinces au XIXème siècle... il ne possède qu'une centaine de livres, voire quelques dizaines, il connaît peu de choses, et quelquefois il se contente de chercher dans le livre qui expose la doctrine à laquelle il adhère la réponse à la question qu'on lui a posée (et si ça n'y est pas, il bafouille, ou il devient très mystérieux "faut être un disciple", ou il invente, ou il répond qu'il ne sait pas, quand il est vraiment honnête). Entre les deux, il y a toute une gamme de nuances du plus au moins.

Quant aux questions posées, à Stalis, ce sera par exemple un riche armurier-forgeron venu d'Olmart, ou le capitaine de la Garde, qui demandera ce qu'est le Nonsense, si la matière existe vraiment, ce qu'est l'homme, et autres questions souvent en rapport avec des interrogations philosophiques personnelles ; dans un tout petit village, ce sera, par exemple, un paysan venu poser une question d'agronomie sans aucun rapport avec la philosophie, et à laquelle l'érudit répondra comme à une autre (non, la philosophie ne se distingue pas non plus de l'agronomie dans ce pays...) ; entre les deux, il peut y avoir des questions simples mais redoutables comme celles des enfants, du type "qu'y a-t-il au-dessus du ciel" ou "puisqu'une chose peut toujours être plus petite qu'une autre, est-ce que ça va comme ça sans fin ou est-ce que ça s'arrête ?", etc.

Voilà pour la première moitié (et la plus longue, je te rassure).

La religion en Hiscontie, suite : des mythes et des légendes pour expliquer le monde, utiles aux plus humbles... et aux érudits aussi !

Côté religieux, maintenant, il n'existe pas de texte religieux fondateur susceptible de produire des commentaires, des exégèses, des sermons, des discussions de théologie de haut vol, ni de doctrine officielle d'une quelconque Eglise. Ce qu'il y a en revanche, ce sont des mythes, des légendes, des contes et des récits de toutes sortes, qui remplacent les doctrines érudites dans les esprits des paysans et des gens les moins instruits. C'est aussi de cette manière que raisonnent les Bohémiens des grandes plaines de l'Ouest et les nomades des steppes de l'Est. Où que ce soit, tout est uniquement oral.

On ne peut pas vraiment parler d'une cosmogonie hisconte ou d'une mythologie hisconte, car cela supposerait que tous les hiscontes connaissent tel ou tel récit, tel ou tel dieu, génie ou personnage mythique, et lui accordent créance de la même façon. Ce n'est pas ça, car les variations entre les régions de l'Hiscontie sont considérables. Par exemple, pour les hiscontes du Nord, les légendes des hiscontes du Sud sont des fables complètement extravagantes, et vice-versa. C'est relativement logique, car ces légendes et ces récits sont étroitement liés aux conditions de vie de ceux qui les racontent. Un hisconte habitant sur la côte de la Mer Notoire lie le Nonsense à l'existence de flux et de reflux de magie, eux-mêmes liés au Grand Océan dont la nature est magique. Les Bohémiens et les nomades se déplacent constamment et expliquent ce mode de vie par la recherche d'une harmonie avec la nature : comme tout change constamment dans la nature, il est vain et dangereux de chercher à transgresser sa loi en prétendant habiter toujours au même endroit, et il est parfaitement logique que les hiscontes sédentaires aient tellement d'ennuis avec le Nonsense.

On pourrait retrouver des façons de penser communes, et c'est pourquoi ces légendes locales peuvent parvenir à composer les unes avec les autres, mais les variantes, les changements d'un lieu à l'autre, sont extrêmement nombreux. Là où un hisconte qui "se fie à la Science et au Progrès" (selon la mentalité urbaine hisconte) a recours à un érudit, un autre hisconte, qui n'y croit pas tellement, a recours à un Barde (cf l'article de Wenlock sur les bardes, qui correspond bien à ce qui se passe en Hiscontie), à un Conteur, ou à un Chroniqueur (certains Chroniqueurs connaissent aussi les légendes de leur contrée d'origine). Dans ce cas, raconter telle légende est répondre à telle question : toute légende a valeur d'explication du monde. Souvent, on croirait entendre raconter un conte de fée, avec des personnages, des événements extraordinaires, des créatures qui n'existent pas (même en Hiscontie), et à la fin, une ou deux phrases concluent : et c'est pourquoi les choses sont de cette façon. Et l'auditoire repart content. Ce ne sont pas des fables ou des récits extravagants, ils obéissent à une logique, qui n'est pas une logique scientifique, mais une logique mythique, complètement différente la plupart du temps, mais pas toujours... Certaines doctrines érudites ressemblent beaucoup à un ensemble de légendes, rendu cohérent et couché par écrit.

 


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